Il serait déraisonnable d’entériner le verdict du temps et de séparer, comme l’a fait la faveur publique, les poèmes de Prévert de son action dans le groupe Octobre. Ce qui les réunit, c’est une inspiration commune et un analogue traitement du langage. L’inspiration, c’est la défense de la classe ouvrière contre ses exploiteurs, l’espoir d’une société juste et fraternelle. Il exprime la peine et la joie, la misère et l’espoir, avec force et conviction, mais un peu en vrac. Quand un prolétaire, chez lui, part à la conquête du monde, il n’a pas un fusil à la main, mais une petite fille, ou une fleur, et un oiseau sur l’épaule. Ce message, imprécis mais plein de chaleur, limite évidemment la portée « politique » de l’œuvre, mais il convenait exactement au public ouvrier du début des années 1930, un public peu ou mal politisé, qui préparait dans la fièvre, et sans bien le savoir, le Front populaire. Si son premier recueil s’est appelé Paroles, ce n’est ni par orgueil ni par humilité, mais parce que le mot définissait la chose en toute exactitude. Les poèmes de Prévert sont si fortement « parlés » : adaptés à l’usage habituel de la langue, des lèvres et du palais, et découpés sur le souffle, sur le volume des poumons et la manière de s’en servir. Les discours, dans son œuvre, sont toujours parodiques, visant les phrases creuses, les lieux communs et les superlatifs cache-misère.